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Marche des Fiertés: Pourquoi l’Inter-LGBT et la Préfecture de police ne comptent-elles pas le même nombre de participant-e-s?

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Stupéfaction, incrédulité et incompréhension. C’est peu dire que les chiffres communiqués par la Préfecture de police sur la Marche des Fiertés samedi soir ont fait l’effet d’une douche froide pour les associations LGBT parisiennes. Dans son communiqué, la Préfecture assure n’avoir compté que les marcheurs/euses qui ont suivi le défilé, soit en tout et pour tout 36000 participant-e-s. «Un chiffre ridicule», s’est insurgé Nicolas Gougain, porte-parole de l’Inter-LGBT, en début de semaine. «Il n’y a qu’à regarder ici et là les images de foules pour constater que ce chiffre est totalement décalé face à l’ampleur du nombre de participants, poursuit-il. On peut s’interroger sur le décalage manifeste entre les chiffres déclarés par la Police ces dernières années.»

«Y AURAIT-IL UNE VOLONTÉ DE MARGINALISER LE MOUVEMENT LGBT?»
De fait, la Préfecture de police a de moins en moins compté de manifestant-e-s à la Marche des Fiertés au fil des années. Elle en annonçait 500000 jusqu’en 2008, avec un pic en 2006 à 650000, rejoignant les estimations des organisateurs/trices. Puis, en 2009, le cortège est divisé par deux et n’est estimé qu’à 350000 participants. Une baisse brutale qui laisse les associations pantoises. «Y aurait-il une volonté quelconque de marginaliser le mouvement LGBT, un mouvement en faveur de l’égalité des droits qui porte des revendications auxquelles les Français souscrivent très largement?», s’interrogeait Nicolas Gougain.

L’an passé, la préfecture de police avait dénombré moins de 100000 personnes à la Marche des Fiertés dans la capitale, faisant une distinction entre 34000 «marcheurs» et 65000 «badauds». Un chiffre jugé «scandaleux» par l’Inter-LGBT, qui estimait à 700000 le nombre de participant-e-s. À l’époque, la Préfecture de police s’était refusée à tout commentaire sur cet écart de chiffres (lire La Préfecture de police ne souhaite pas s’exprimer sur les chiffres de la Marche des Fiertés de Paris). Cette année, elle opère un virage à 180 degrés en acceptant de recevoir l’Inter-LGBT mardi soir, puis la presse dès le lendemain. Yagg était bien évidemment sur place.

COMMENT LA PRÉFECTURE COMPTE
Pour dénombrer les manifestants, les policiers se placent en hauteur afin d’avoir une meilleure vision de la chaussée. Par équipe de deux – le jour de la Marche des Fiertés, deux équipes, soit quatre personnes, étaient dédiées au comptage –, les agents, munis d’un appareil de comptage, dessinent dans leur tête une ligne qui traverse la rue de part en part. À chaque fois qu’une dizaine de personnes franchit cette ligne, ils le signalent à l’appareil. À la fin de la manifestation, la préfecture dit utiliser «l’estimation la plus haute» qu’elle majore de 5% à 10%. Ce système semble logique pour un défilé syndical où les seules personnes comptabilisées sont celles qui défilent sur la route.

Mais comme l’a reconnu René Bailly, directeur de la direction du Renseignement de la Préfecture de police de Paris (DRPP), à la tête des agents chargés du comptage des manifestants, «on ne peut assimiler la Marche à une manifestation». Plus que des militant-e-s derrière une banderole et des chars, la Marche est également un spectacle qui se donne à voir. De fait, elle a des spectateurs/trices, debout ou assis-e-s, qui assistent au défilé, mais qui ne marchent pas. Les raisons en sont multiples et certaines ont été évoquées par les responsables de l’Inter-LGBT. René Bailly a ainsi reconnu qu’il n’avait pas songé aux personnes qui souhaitent rester anonymes dans leur démarche de soutien, qui craignent d’être photographiées ou filmées sur le parcours et qui se tiennent sur les côtés. Et il y a tout bonnement des gens fatigués de danser et de marcher qui patientent sur le trottoir. Dès lors qu’une personne ne marche pas sur la voie centrale, elle n’est pas comptabilisée comme participant à la manifestation.

«NOTRE OBJECTIF, C’EST L’OBJECTIVITÉ»
Car pour la Préfecture, impossible de différencier ces sympathisant-e-s qui ne marchent pas des passant-e-s venu-e-s là par hasard. Les policiers étant installés à un point précis pour le comptage (le jour de la Marche, ils étaient au croisement du boulevard Saint-Germain et de la rue Saint-Jacques), ils ne comptabilisent pas les personnes sur les côtés tout le long du défilé. Or, pour les organisateurs/trices, ces «badauds» font partie intégrante de la Marche. Celles et ceux qui avaient été recensé-e-s en 2010 (la Préfecture avait estimé qu’ils étaient 65000) n’ont pas été comptabilisé-e-s cette année, la direction du Renseignement ayant jugé que cette expérimentation était «insatisfaisante»: «notre objectif, c’est l’objectivité», insiste René Bailly. L’homme veut des chiffres incontestables, vérifiables, des vérités scientifiques. Trop instable et imprévisible, la masse des passant-e-s sur les côtés échappe au système de comptage scientifique mis en place par la préfecture. Même si elle constitue l’effectif le plus important de la Marche.

Dans ce souci de scientificité, toutes les manifestations de grande ampleur sont filmées. La Marche des Fiertés n’y a pas échappé. Installée sur le lieu de comptage, une caméra suit le flot des manifestant-e-s du début à la fin. La Préfecture a fourni à Yagg une copie de ce film. Il sert à la vérification des chiffres relevés par les agents sur place. Lundi, le recensement vidéo des manifestant-e-s est descendu aux alentours de 33500. Sur l’image ci-dessous, extraite de ce film, seules les personnes qui défilent au centre ont été comptabilisées.

La méthode ne semble néanmoins pas faire l’unanimité au sein même de la Préfecture puisque, comme l’indiquait Nicolas Gougain au sortir de la rencontre entre la DRPP et l’Inter-LGBT, le dispositif de sécurité prévu par la Préfecture estimait à 25000 le nombre de personnes présentes place de la Bastille (où s’achève la Marche) et à au moins 250000 sur l’ensemble du parcours.

«NOUS NE SOMMES INSTRUMENTALISÉS PAR PERSONNE»
À la Préfecture de police, cette bataille de chiffres est aussi l’occasion de faire une bonne opération de communication. René Bailly a pris ses fonctions en 2009, pile l’année qui a marqué un tournant dans le comptage des manifestant-e-s. Le discours est rodé. Il assume parfaitement le nouveau mode de comptage effectué par ses agents et lance une pique en direction des associations LGBT. «Pourquoi a-t-on laissé dire des choses pareilles, et ancré dans l’esprit des manifestants pendant des années qu’il y avait 700000, 800000 manifestants?, fait-il mine de se demander. Il aurait fallu être professionnel beaucoup plus tôt et ne pas entretenir cette idée qui ne correspond à rien.»

«Seule la direction du Renseignement est habilitée à donner les chiffres des manifestations, assène M. Bailly. Ces chiffres sont les mêmes que ceux qui sont ensuite communiqués par le préfet. Il peut nous demander des explications, on les lui donne, il peut nous faire des remarques, nous les recevons, mais le chiffre n’est pas modifié.» Pas de manipulation, alors? «Nous ne sommes instrumentalisés par personne, jure le policier. Qui pourrait passer de telles consignes aux personnels qui font ce métier, depuis plusieurs années, qui ne sont à ma connaissance pas obligatoirement titulaires d’une carte UMP, qui sont tous dans des syndicats de police qui ne sont pas du tout de cette tendance, en tous cas les syndicats majoritaires? Si on leur disait de ne pas passer tel ou tel chiffre, ces fonctionnaires seraient remontés et en droit de poser de questions», assure-t-il. Et pour éviter toute polémique future, il lance une invitation: «Si vous voulez, l’année prochaine, vous prenez une chaise, et vous venez compter avec nous».

Au moment où nous publions cet article, l’Inter-LGBT n’a pas encore réagi officiellement à la remise en cause de son mode de comptage. Son porte-parole, Nicolas Gougain, parle d’«un dialogue de sourds» avec la Préfecture de police et indique qu’il évoquera le sujet avec les associations réunies en conseil ce soir même.

[mise à jour, 18h35: Ajout d'une précision sur la méthode de comptage]

Paul Denton et Julien Massillon

Cet article a été initialement publié dans la partie info de Yagg. Cliquez là pour le commenter.


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